"Dans une économie où l’unique certitude est l’incertitude, la seule source fiable d’un avantage concurrentiel durable est le savoir » – Ikujiro NONAKA
Auteur : Karine
Ces billets ne sont pas des écrits académiques ni professionnels. Les opinions exprimées sur ce blog sont strictement personnelles.
Ces articles visent à partager, avec ceux qui s'attarderont sur mon blog, l'actualité sur les différents sujets qui me passionnent ou qui ont attiré mon attention au fil de mes lectures, des conférences ou colloques auxquels j'ai pu assister ou échanges que j'ai pu avoir dans le cadre personnel. Mes sujets de prédilection sont la finance et la stratégie d'entreprise, l'innovation digitale, la transformation numérique des entreprises, l'e-santé ou santé numérique. L'objectif est de recueillir vos réactions, vos points de vue et ainsi d'ouvrir des débats.
« La
guerre économique peut se définir par la mobilisation de l’ensemble des moyens
économiques d’un Etat à l’encontre d’autres Etats pour accroître sa puissance
ou le niveau de vie de ses habitants »
Pascal Boniface
Olivier de Maison Rouge (1) nous propose un ouvrage réunissant des pensées, extraits et maximes en lien avec la guerre économique. Le public visé est évidemment les professionnels de l’intelligence économique mais également ceux qui souhaitent en savoir plus sur cette discipline parfois méconnue mais ô combien nécessaire pour décrypter les enjeux actuels de l’économie mondiale.
Dans son introduction, Olivier de Maison Rouge rappelle un ensemble de faits qui marquent l’histoire de la guerre économique. Je vous propose d’en découvrir trois.
Du
« soft law » au « hard law », l’extraterritorialité du
droit américain ou le droit comme prolongement de la guerre économique par
d’autres moyens
«
Il est évident que la mondialisation économique, mais aussi sociale et
intellectuelle, formate le droit, non seulement le droit international mais
aussi les droits internes. […] L’arme du droit est déployée dans la guerre
d’information que les différentes places se livrent pour s’imposer comme le
lieu ou la référence incontournables pour faire des affaires »
Bertrand du Marais
Le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA)est une loi fédérale adoptée en 1977 dans le cadre de la lutte contre la corruption dans le milieu des affaires. Elle peut être activée par le Department of Justice, le FBI, la NSA ou la SEC (3). Cette loi peut concerner un acteur économique même en dehors des frontières des Etats-Unis à partir du moment où un lien de rattachement avec l’état fédéral est établi. Multiples sont les multinationales étrangères qui en ont fait les frais : BNP Paribas qui s’est retrouvé devant l’obligation de s’acquitter d’une amende record de 8 Md€, Crédit Agricole pour des opérations libellées en USD (avec l’Iran, le Soudan, le Myanmar et Cuba) entre 2003 et 2008, Peugeot qui a dû cesser toute activité en Iran…
Les
ONG (4) américaines et britanniques, des outils d’influence redoutables ?
« Il
faut être bien naïf ou aveugle pour ne pas voir que les ONG américaines ou
britanniques sont une part du soft power américain ou anglais… Et qu’elles sont
souvent hostiles, de facto, sous divers prétextes, à l’influence, à la
politique ou à la langue française. »
Hubert Védrine
Olivier de Maison Rouge pose le questionnement suivant : « […] tous les acteurs sur ce terrain sont-ils aussi angéliques ou philanthropiques qu’ils le prétendent ? ». Près de 30% des ONG sont basées sur le continent nord-américain et 20% d’entres elles captent 90% des ressources de financement (5). L’auteur estime que les ONG usent de leur influence sous diverses formes : lors de la COP21, la filière nucléaire a été ciblée et ce sont indirectement les acteurs français qui en ont fait les frais (EDF, ENGIE, AREVA…).
La
politique américaine d’endiguement et d’influence normative
« Leur
capacité de mettre en cause les acteurs politiques ou économiques, mais aussi
d’imposer des normes et de faire l’agenda du débat public leur confère un pouvoir
inédit. A ces stratégies s’ajoutent d’autres, politiques ou économiques, qui
cherchent à infléchir les décisions publiques et à diriger l’opinion au service
d’intérêts matériels ou idéologiques. Lobbies, think tanks, groupe de pression
jouent aussi un rôle croissant. »
François-Bernard Huyghe
Les traités commerciaux signés en
marge de l’OMC, et favorisés par les Etats-Unis, symbolisent l’effacement du
droit romano germanique au profit du common law anglo-saxon. [Ndlr : Alors
que les négociations sur le TAFTA (6) ont été abandonnées, l’UE a signé le 24
août 2020 un nouvel accord tarifaire avec les Etats-Unis. L’accord est intervenu alors que les tensions
commerciales entre les Etats-Unis et l’Union européenne s’étaient intensifiées
(notamment au sujet des subventions aux avions et des taxes sur les services
numériques).]
Dans le reste de cette
introduction, Olivier de Maison Rouge propose son point de vue sur trois autres
sujets que je vous laisse découvrir : le sujet du dumping fiscal et
social, le cyberespace comme nouveau lieu de compétition économique et la lutte
pour l’indépendance numérique.
En espérant vous avoir donné l’envie de le parcourir !
Karine Hare-Conan
(1) BONIFACE P., Les Guerres de demain, Seuil, 2001
(2) Avocat. Docteur en Droit. Diplômé de Sciences Politiques. Professeur associé à l’Ecole des relations internationales (ILERI) et à l’Ecole de Guerre Economique (EGE), intervenant à l’IHEDN et à l’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM).
(3) Securities and Exchange Commission
(4) Organisations Non Gouvernementales
(5) RYFMAN P., Les ONG, 2009
(6) Traité de libre-échange transatlantique ou Transatlantic Free Trade Agreement
“Instruments de puissance géopolitique, les places financières européennes sont au cœur d’une guerre économique entre États pour revendiquer un leadership international. Première place financière en Europe, la City compte de nombreux concurrents, au premier rang desquels les bourses de Francfort et Paris. Le vote du Brexit en 2016 a redistribué les cartes : il constitue l’occasion pour Francfort d’asseoir sa domination après des années de rivalités avec la City cependant il représente aussi une réelle opportunité pour d’autres parties intéressées, comme la France, de se faire une place sur l’échiquier.
Notre rapport (*)a été conçu selon une grille de lecture des stratégies d’influence, d’attaques informationnelles et parfois de provocations de la part des différents protagonistes.
Dans un premier temps, nous avons commencé nos travaux par un cadrage historique : les rivalités historiques entre les places financières de La City et de Francfort pour assurer leur souveraineté financière et profiter du mouvement de « globalisation financière » pour asseoir leur domination sur le monde de la finance.
Nous avons ensuite étudié un premier champ de bataille : les rapports de force entre Londres et l’Union Européenne dans le cadre du Brexit.
Nous avons analysé l’émergence des ambitions d’un acteur, qui tenait plutôt jusque-là un « second rôle » sur l’échiquier : la place financière de Paris.
Aujourd’hui, alors que la large victoire des conservateurs aux législatives de décembre dernier donne les pleins pouvoirs à Boris Johnson pour finaliser rapidement la sortie du Royaume-Uni avec le risque d’un « hard Brexit », nous avons voulu déterminer les facteurs qui pourraient permettre à la France de réaliser ses ambitions mais aussi les risques qui l’empêcheraient d’atteindre ces objectifs. Trois critères ont été retenus : la compétitivité, la capacité d’innovation et l’éducation.”
(*) Retrouvez mon étude co-écrite avec Emilie Barbeau, Guillaume Gascoin, Alexandre Merancienne et Tomislav Pautard et publiée sur le site infoguerre le 16 janvier 2020.
Sous l’effet des guerres mondiales et
faute de capitaux, la production cinématographique européenne a cédé le terrain
aux productions d’Hollywood qui a alors pris le relais. Le cinéma
hollywoodien est devenu en quelques années un véritable outil de « Soft Power »
tel que conceptualisé par Joseph Nye en 1990. Dans « Bound To Lead : The
Changing Nature Of American Power[1]»,
il affirme que les États-Unis disposent d’un avantage comparatif nouveau et
qu’ils seront amenés à étendre leur sphère d’influence sur le reste du monde,
précisément par leur capacité à séduire et à persuader les autres états sans
avoir à user de leur force ou de la menace. Ce « Soft Power » repose
sur des ressources intangibles telles que l’image ou la réputation positive
d’un état, son prestige (son économie et sa puissance militaire), ses capacités
de communication, le degré d’ouverture de sa société, l’exemplarité de son
comportement (en termes de politique intérieure et de relations
internationales), l’attractivité de sa culture, de ses idées, l’avancement de
sa recherche scientifique et technologique… Cette expression de « Soft
Power » est désormais utilisée par d’autres pays comme synonyme de
politique d’influence, y compris économique. Aujourd’hui le cinéma américain
met en scène la puissance des États-Unis mais aussi ses échecs et ses craintes.
Récemment le long-métrage « Zero
Dark Thirty » de Kathryn Bigelow (première réalisatrice à
avoir remporté l’Oscar du meilleur film pour « The
Hurt Locker » en 2010) faisait le récit de la traque
d’Oussama ben Laden lancée par les États-Unis au lendemain des attentats du 11
septembre 2001. Elle prit fin par l’élimination du chef d’Al-Qaïda sous le
premier mandat de Barack Obama. La date de diffusion de ce film déclencha une
polémique dans les milieux conservateurs américains : ils firent le
parallèle entre la date de sortie du film (3 semaines avant les élections
présidentielles) et la réélection de Barack Obama. Ce film aurait-t-il eu le
pouvoir d’influencer les votes en faveur du candidat démocrate ? Les
polémiques déclenchées par le cinéma dépassent régulièrement les frontières
nord-américaines. En 2014, le film « the Interview » fut vivement critiqué par
la Corée du Nord. A tel point que le dirigeant Kim Jong-Un demanda à l’ONU de
sanctionner l’acteur principal (James Franco) ainsi que le scénariste et
coréalisateur (Seth Rogen) du film. La Corée du Nord fit deux déclarations
fracassantes :
Via son
porte-parole : « Il y a ceci d’ironique dans l’intrigue, qui
montre le désespoir du gouvernement des États-Unis et de la société
américaine. L’assassinat d’un leader étranger renvoie à ce que les
États-Unis ont fait en Afghanistan, Irak, Syrie et Ukraine. Et n’oublions
pas qui a tué Kennedy : les Américains ».
Par
communiqué de presse du régime nord-coréen lui-même « Ces cinéastes
vulgaires, appâtés par quelques dollars jetés vers eux par des
conspirateurs, ont sali la dignité et la conscience du cinéma en osant
produire et réaliser un tel film. En conséquence, ils doivent être
sévèrement punis. […] Pitoyables sont les États-Unis, cherchant
désespérément à affaiblir l’autorité de notre République, pourtant plus
puissante chaque jour, avec un film minable, alors qu’aucune pression ou
menace n’a jamais fonctionné contre nous. »
Cet affrontement eut des conséquences
économiques : afin de subtiliser des informations confidentielles autour
du film, un groupe de hackers « Guardians of Peace » fut à l’origine
d’une cyberattaque de Sony Pictures Entertainment.
Peu après, ces mêmes hackers menacèrent d’attaquer les endroits où serait diffusé le film.
Face à ces menaces, l’avant-première new-yorkaise du film ainsi que sa tournée
de promotion furent annulées. Sony dut réagir face aux nombreuses annulations
de la projection du film par les chaînes de cinéma : il décida de ne pas
sortir le film en salle pour finalement l’autoriser dans quelques salles
américaines pour Noël. Dans les quatre jours de sa sortie, The Interview a
totalisé 15 millions de dollars de recettes dans les locations et achats en
ligne, devenant un des films les plus rentables de Sony
Pictures Entertainment sur ce marché : « all’s
well that ends well. » pour Sony ! Aujourd’hui, force est de
constater que le cinéma a néanmoins perdu l’exclusivité du « Soft
Power » face à la montée en puissance de l’audience des séries télévisées.
La prise de conscience du pouvoir
d’influence des séries télévisées
La légitimité des séries américaines
n’était pourtant pas acquise lors du lancement massif des chaînes télévisées
câblées aux États-Unis dans les années 1970. Elles étaient considérées avec
mépris et condescendance par les élites (cf. la série Dallas). Aujourd’hui,
elles ont acquis une certaine légitimité et font même l’objet de recherches
scientifiques en géopolitique. Sur le marché des séries, les États-Unis sont le
deuxième exportateur dans le monde : en avril 2015, la chaîne télévisée HBO
a diffusé le 1er épisode de la 5ème saison de Game of Thrones simultanément dans 173
pays. Chaque année ce sont 150 nouvelles séries qui sont lancées
outre-Atlantique. La plate-forme d’abonnement Netflix compte plus de 65
millions d’abonnés. Et la guerre fait rage sur ce marché compte tenu des sommes
en jeu, en témoignent les dernières actualités en la matière. En
2016, Dominique Moïsi[2]
y consacre un essai intitulé « La géopolitique des séries ou le triomphe de la
peur ». Selon lui, les séries ont atteint un niveau
d’excellence au moment où le monde était confronté à l’hyperterrorisme des
attentats du 11 septembre 2001. La géopolitique a envahi brutalement le
réel de nos vies quotidiennes mais elle s’est surtout transformé « en
source d’inspiration pour les acteurs du monde, dans un mouvement dialectique
toujours plus redoutable ». Les séries TV sont devenues des « outils
incontournables de compréhension des émotions du monde, de la politique
intérieure à la géopolitique […] ». Je rajouterais également la compréhension
des enjeux économiques sous-jacents. Les hommes politiques ont pris conscience
du pouvoir de cet outil de diffusion de leurs messages à une large audience et
n’hésitent pas y faire clairement référence. Lors de son discours en 2015
devant le Congrès des États-Unis, Benjamin Netanyahu fit référence de manière explicite à la série Game Of Thrones :
« In this deadly « Game of Thrones », there’s no place for
America or for Israel. No peace for Christians, Jews, or Muslims who don’t
share the Islamist medieval creed.”
La géopolitique selon House of Cards et
Game of Thrones : la fin justifie les moyens
« Democracy is so overrated » : la
série House of Cards s’inspire d’une série télévisée britannique des années
1990 : même titre, même thème et surtout mêmes auteurs. Elle traite de la
conquête et de l’exercice du pouvoir à la Maison Blanche. Le contexte
international est présent (Chine, Moyen-Orient, Russie…) néanmoins les luttes
internes sont mises en avant par les scénaristes. Les principaux messages que
ces derniers diffusent au fil des épisodes est la perte de confiance
généralisée à l’égard des élites avec une volonté de désacraliser la politique
et les relations internationales. Le public français montre un grand intérêt
pour cette série qui paraît impossible à réaliser en France. Pourtant la série
américaine va créer la surprise en s’immisçant dans la vie politique française :
en 2016, Franck Underwood (le personnage principal) attaque publiquement le
gouvernement Valls en commentant via Twitter l’utilisation de l’article 49.3
pour faire adopter la loi El Khomri. Nous avons assisté à un dialogue entre un
personnage fictif et le premier ministre français lui-même. Manuel Valls a
répondu par un tweet à House of Cards en faisant référence à Winston Churchill
qui avait observé, à son époque, que « la démocratie est la pire forme de gouvernement, à
l’exception de toutes les autres ».
« Winter is coming » : la série Game of Thrones est inspirée des romans de l’Américain Georges R.R. Martin. Dans cet univers, la géopolitique est le sujet essentiel : Dominique Moïsi parle de « réflexion féroce » sur la crise de légitimité du politique et des politiques. La série est de loin celle qui a le plus fait l’objet de commentaires géopolitiques et politiques. En 2015, Time Magazine faisait le lien entre les jeux de pouvoir de la campagne pour l’élection présidentielle américaine et la série en publiant une photo de Bill Clinton aux côtés de George W. Bush sous le titre « Game of Thrones – TIME talks 2016 with the most surprising couple in politics ». Les personnalités politiques sont également entrées dans le jeu. En 2016, les créateurs de la série ont avoué avoir envoyé une copie des épisodes de la 5ème saison avant sa diffusion officielle à la demande du président Obama. La série Game Of Thrones serait-elle une synthèse accélérée de l’histoire des relations internationales comme l’écrit Dominique Moïsi ?
Les scénaristes « américains »
présentent-ils une vision réaliste de la géopolitique actuelle ?
L’hégémonie
du modèle d’exportation américain : les
données du marché révèlent une domination nette de la production américaine au
niveau mondial : les États-Unis produisent plus de 400 séries par an dont
159 sont exportées. A la différence de certains pays européens comme la France,
lors de leur conception, nombreuses sont les séries américaines pensées pour
l’exportation. Elles constituent ainsi un outil d’influence sur le reste du
monde. Depuis le 11 septembre 2001, la grande majorité des intrigues sont
devenues plus sombres et les personnages clés sont des antihéros. Elles
véhiculent une culture de la peur : selon François
Jost[3], les personnages sont
devenus des « nouveaux méchants » qui remettent en cause le
« rêve américain » et revisitent l’histoire du capitalisme avec
violence et désillusion.
Une
Europe divisée…c’est
l’image que renvoie la série franco-suédo-norvégienne « Occupied ».
Dans cette dystopie, en plein contexte de réchauffement climatique, le
gouvernement norvégien prend la décision d’arrêter la production des énergies
fossiles au profit de centrales au Thorium. Cette décision provoque une grave
crise énergétique en Europe. La série brosse un portrait très négatif des
relations internationales :
La Norvège
ne peut que constater que ses choix en matière de politique énergétique ne
lui appartiennent pas car les enjeux économiques dépassent sa
souveraineté.
Un
commissaire européen (de nationalité française) ordonne à la Norvège de
reprendre la production et l’exportation d’hydrocarbures ou demande sera
faite à la Russie d’intervenir militairement en Norvège pour rétablir la
production.
Les
États-Unis ont quitté l’OTAN et refusent toute intervention en faveur de
la Norvège.
À la suite de la diffusion de cette
fiction, la Russie a fortement réagi en dénonçant l’image véhiculée par la
série. Elle a d’ailleurs pris la décision de créer ses propres programmes.
Existe-t-il une forme de résistance
culturelle française à l’emprise des séries télévisées?
Pierre Ziemnak indique dans son livre
« Exception Française – 60 ans de séries » que les quatre premières
séries télévisées les plus regardées en France en 2015 sont d’origine
américaine (The Mentalist, Forever, Esprits criminels et Person of
Interest) alors qu’au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne ou en Italie, les
fictions « locales » sont en tête des audiences. Une étude BVA Orange, révèle que, contrairement à la
tendance mondiale actuelle de présence croissante des séries télévisées, 59%
des français privilégient les films de cinéma contre 44% pour les séries. Selon
Dominique Moïsi, « on ne conçoit pas en France l’existence d’une série sur
la conquête et l’exercice du pouvoir à l’Elysée qui aurait ne serait-ce qu’un
dixième de la virulence, de la jouissance destructrice de House of Cards. De
même que notre pays prend un temps particulièrement lent pour se confronter à
son passé, de la guerre d’Algérie à la France de Vichy, il est d’une grande
prudence dans la description et l’analyse des mécanismes du pouvoir ». Mais
quelques productions françaises semblent se démarquer :
« Le Bureau des Légendes » : selon
Dominique Moïsi, la série constitue un mécanisme subtil et efficace pour
redorer le blason des services de renseignement français et de la
politique étrangère de la France au Moyen-Orient. La France apparaît comme
une puissance incontournable sur plusieurs dossiers, ce qui ne serait pas,
toujours selon Dominique Moïsi, forcément fidèle à la réalité politique.
Certains Etats prennent très au sérieux
les messages portés par les séries TV. « House of Cards » est très
populaire auprès des élites politiques chinoises : elle renforce les
convictions des dirigeants chinois qu’au fond il n’y a rien de différent entre
le système politique américain et le système chinois. Dans le n°33 du magazine Carto, la journaliste
Francesca Fattori rappelait que le Liban, l’Iran et le Pakistan se sont plaints
de l’image stéréotypée et réductrice de leur pays que renvoyait la
série Homeland. Certains états ont décidé d’en faire
un outil de communication d’influence : de nombreux pays cherchent à
montrer une autre représentation géopolitique que celle qui a été véhiculée par
le modèle américain. On parle beaucoup de l’hégémonie des séries américaines
mais peu des productions turques : en 2015, la Turquie est pourtant
le 1er exportateur
de séries dans le monde. Elles constituent une attraction touristique et une
source de revenus pour le pays. Le développement du tourisme télévisuel est un
symptôme de l’importance des séries turques dans les pays du Moyen-Orient.
Les années 2010 constituent l’âge d’or des séries turques dans une vaste zone
géographique, de l’Amérique du Sud au Moyen-Orient, de l’Asie centrale aux Balkans.
Nous pourrions aussi citer l’exemple des séries israéliennes, brésiliennes ou
russes… « Miroirs de notre vision du monde » pour reprendre l’expression de
Dominique Moïsi, les séries ne sont pas des produits mondialisés neutres, elles
constituent des « clés de lecture » des enjeux géopolitiques et économiques
actuels.
Karine Hare-Conan
Bibliographie :
François Jost, Les nouveaux méchants –
Quand les séries américaines font bouger les lignes du Bien et du Mal, Bayard,
2015
François Jost, De quoi les séries
américaines sont-elles le symptôme ? CNRS, 2017
Dominique Moïsi, La géopolitique des
séries ou Le triomphe de la peur, Stock, 2017
Joseph S. Nye jr, Bound to Lead: The Changing Nature
of American Power, Basic Books, 1990
Martin Wincler, Petit éloge des séries
télé, Folio, 2015
Pierre Ziemnak, Exception française – De
Vidocq au Bureau des légendes : 60 ans de séries, Vendémiaire, 2017
[1]Bound
to Lead: The Changing Nature of American Power, Joseph S. Nye jr, Basic Books,
1990
[2]La géopolitique des séries ou Le triomphe de la peur,
Dominique Moïsi, Stock, 2017
[3]Les nouveaux méchants – Quand les séries américaines
font bouger les lignes du Bien et du Mal, François Jost, Bayard, 2015
Mon prochain article devrait paraître fin septembre, il portera sur un média d’influence fort avec une audience importante : les séries télévisées. En particulier sur la représentation qu’elles donnent des jeux de pouvoir et des guerres économiques. A suivre !
40 millions serait[1], selon le cabinet McKinsey, le nombre de « talents » qui viendraient à manquer sur le marché du travail d’ici 2030. Les économies émergentes (indienne, sud-asiatique et africaines) seraient également touchées. En parallèle, le nombre de travailleurs faiblement qualifiés atteindrait le chiffre considérable de 90 millions : de quoi amplifier « la guerre des talents » qui existe déjà entre grandes entreprises. La révolution numérique et l’émergence du monde des start-up viennent aggraver ces affrontements. Même si l’enjeu global semble clair, le concept de talent[2] n’a pas de définition officielle : les critères peuvent varier selon le profil du poste, le secteur d’activité, de la culture d’entreprise et de son écosystème. Partons du postulat qu’un « talent » constitue avant tout un avantage concurrentiel voire un élément différenciant de l’offre d’une entreprise. En France, la pénurie de « talents » et les pourcentages de turn-over au sein des grands groupes ont atteint un niveau record en 2018[3] : les grandes entreprises rencontrent de réelles difficultés à attirer et à retenir leurs « talents ».
La montée en puissance des aspirations sur le mode de vie
En 1997, le cabinet McKinsey publiait l’étude “The War fo Talent”[4]. Parmi les conclusions de leur travail, deux « prophéties » qui engendreraient une guerre « sans limites » pour capter les talents si les entreprises ne faisaient pas de leur politique RH une priorité dans leurs plans stratégiques :
Une assez forte probabilité que dans les années à venir, un petit groupe de travailleurs hautement qualifiés aurait un impact plus fort sur la performance des entreprises que leurs autres collègues.
Le développement toujours plus complexe du système économique mondial impliquerait un besoin croissant en personnel hautement qualifié.
Mais à l’époque les entreprises estimaient qu’un salaire attractif suffisait et suffirait à attirer et fidéliser les talents.
Aujourd’hui, elles doivent composer avec un changement des mentalités, les départs massifs en retraite des babyboomers mais surtout, en lien avec la révolution numérique, l’émergence de besoins en compétences qui n’existaient pas il y a encore quelques années.
Selon Patrick Arnoux[5] pour qui « la guerre pour les talents ne fait que commencer », la cotation en bourse d’une entreprise de services parapétroliers a « été chahutée après l’annonce de retards dans la livraison de certains projets stratégiques, provoqués par une pénurie de main-d’œuvre et une incapacité temporaire à procéder aux nécessaires recrutements ». Les métiers du numérique et de l’ingénierie sont aujourd’hui les plus impactés par le manque de « main d’œuvre ». Et il apparaît que le rapport de force s’est inversé : les candidats sont en quête de sens et maintenant décisionnaires.
La renommée de la marque ne suffit plus à attirer les talents, en particulier ceux du numérique qui sont plus sensibles à l’univers des start-up, des PME ou de l’auto-entrepreneuriat (en 2017, 37% des Français imaginent créer ou reprendre une entreprise[6]) qui représentent à leurs yeux une aventure technique et plus humaine. Presque 50% des français disent préférer une PME, 26% une ETI et seulement 11% un grand groupe[7]. Désormais, ils n’hésitent pas à quitter leur emploi : le critère du salaire a laissé la place au besoin de reconnaissance, à l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. Un grand cabinet de conseil en stratégie parisien en a fait les frais : aucun des talents éligibles n’a proposé sa candidature au poste d’associé[8]. La cause ? la vie d’associé serait désormais synonyme de surinvestissement au travail au détriment de la vie personnelle. Parfois les grandes entreprises réussissent à remporter une bataille : en quelques années, les cabinets de stratégie en Inde furent victimes d’une fuite de leurs talents au profit des start-ups. Et pourtant en mars 2017, McKinsey a annoncé[9] avoir réussi à faire revenir au sein du cabinet un brillant ancien associé, son adaptation au monde « des start-up» aurait échoué.
Les méthodes offensives des entreprises
Certaines grandes entreprises ont bien compris que leur gestion des talents est une dimension cruciale dans la guerre économique qu’elles mènent contre leurs concurrents. Elles déploient une véritable stratégie marketing RH supportée par un département dédié et généralement baptisé « Marque Employeur » qui doit représenter l’identité et la réputation de l’entreprise en tant que recruteur. En 2017, Amazon France a organisé son premier Amazon Campus Challenge[10] : il s’agissait de mettre en compétition des étudiants en master avec pour récompense, entre autres, une proposition de stage. En petits groupes, les étudiants devaient accompagner une TPE ou une PME dans la mise en œuvre d’une stratégie de e-commerce sur la marketplace d’Amazon.
Ce type d’événement permet à Amazon d’identifier le plus tôt possible des futurs talents, de promouvoir la marque employeur mais peut aussi nourrir ses réflexions stratégiques à partir des insights produits par les étudiants. Parmi les autres mesures les plus courantes, la proposition de places en crèche à proximité de lieu de travail, des services de conciergerie, l’agencement des espaces de travail (« Les plus beaux espaces, avec vue panoramique ou terrasse, ne sont plus réservés à la direction, comme c’était le cas il y a encore cinq ans, mais dévolus aux espaces communs de convivialité »[11]), la nomination de Chief Happiness Officer qui serait garant de la qualité de vie dans l’entreprise… Concernant la fidélisation des talents, les nouvelles technologies pourraient constituer un élément pertinent[12] pour aider les entreprises à prévoir leur turn-over : les logiciels SAP’s SucessFactors et Workday (Oracle) collectent déjà des informations à partir d’application comme Linkedin afin d’identifier si une personne envisagerait une mobilité. Le cabinet McKinsey utilise des algorithmes de machine learning afin d’identifier les facteurs responsables du phénomène de lassitude constaté (« bore-out ») chez leurs managers.
PIB et Indice Global de Compétitivité des Talents
Le « talent » ne se limite pas uniquement au monde de l’entreprise privée. Ces ressources clés sont aussi considérées comme le moteur de la compétitivité et de l’innovation d’un pays. L’enjeu économique de la « guerre des talents » est double : à l’échelle des entreprises mais aussi au niveau national. L’INSEAD a lancé en 2013 un indice global de compétitivité des talents[13] (GTCI, pour « Global Talent Competitiveness Index ») dont l’objectif était d’évaluer ce que les États font pour « cultiver, attirer et retenir les talents » car, selon l’INSEAD, il existerait une très forte corrélation entre le PIB et l’indice des talents : « Ce sont les pays qui font le plus d’efforts pour attirer et retenir les talents qui sont les plus performants en matière d’innovation ». La Suisse, Singapour, le Danemark et la Suède ont été plébiscités pour leur gestion des talents. Ils auraient anticipé les difficultés à venir en donnant la priorité à la qualification et l’employabilité dans l’évolution de leurs programmes d’enseignement : et si une meilleure coopération entre le monde de l’entreprise et le système éducatif d’un même pays constituerait un avantage concurrentiel dans la « guerre des talents » à l’échelle mondiale ?
[2] David Giauque, Simon Anderfuhren-Biget et Frédéric Varone, « La « guerre des talents » est-elle perdue d’avance ? Attirer et fidéliser les salariés par les valeurs du service public », Pyramides [En ligne], 23 | 2012, http://journals.openedition.org/pyramides/901
Après 15 ans d’expérience professionnelle en stratégie et en finance chez Mazars et ENGIE, j’ai décidé de créer Jade Lotus Consulting.
Jade Lotus Consulting est un cabinet de conseil en management stratégique et en intelligence économique auprès d’acteurs privés (Startup, TPE, PME, PMI) ou publics (collectivités territoriales).
Je propose à mes clients :
la mise en place “in situ” d’un dispositif de veille et d’analyse de l’information,
la réalisation et le déploiement d’un plan stratégique de développement de leur activité,
un accompagnement dans le cadre de leurs projets d’acquisition ou de cession,
une aide à la réflexion prospective dans un écosystème en permanente mutation.
Forte du constat qu’il est bien plus difficile pour des sociétés bien établies sur leur marché de faire preuve de créativité et d’innovation que d’optimiser la performance de leurs processus, une équipe McKinsey a mené pendant 5 ans une étude (basée sur des interviews, des ateliers et des enquêtes auprès de 2 500 cadres issus de plus de 300 entreprises).
Leur objectif ? Comprendre quels sont les facteurs qui permettent à une société d’être plus innovante qu’une autre.
Leur étude a abouti à l’établissement d’une liste de huit piliers fondamentaux de l’innovation.
Je vous propose de découvrir dans le détail quels sont ces huit éléments et ce qu’ils recouvrent.
Aspire:faire de l’innovation un moyen prioritaire de développement de la croissance de l’entreprise et décliner des objectifs qui reflètent cette stratégie. Les cibles doivent être suffisamment larges afin que chaque manager puisse intégrer dans son business plan une enveloppe spécifiquement dédiée à l’innovation.
Choose :investir dans un portefeuille d’initiatives cohérent et équilibré en termes de risques et selon un timing pertinent tout en mobilisant les ressources nécessaires.Une fois cette étape franchie, la démarche doit être transparente (chaque collaborateur doit savoir quels sont les sujets qui sont développés en interne et quelles sont les équipes). De plus, une gouvernance spécifique doit être mise en place afin d’évaluer en permanence la composition de ce portefeuille et non uniquement son avancement, les risques inhérents et la valeur de ces initiatives.
Discover :avoir une vision du business, du marché et de la technologie qui puisse se traduire en proposition de valeur. Le processus de découverte est itératif et la fabrication de prototypes peut aider les entreprises à continuer à apprendre tout en développant, testant, validant et en améliorant ses innovations.
Evolve :créer des business models qui offrent des sources de profit défendables et évolutives. L’innovation en matière de modèle d’affaires est cruciale pour la logique économique de la chaîne de valeur, la diversification des sources de profits et le changement des modèles d’exécution. Aujourd’hui, cette réflexion est peu déployée dans les grands groupes : certains attendent d’être directement menacés avant de l’enclencher, à ce stade elles ne peuvent qu’espérer qu’il ne soit pas trop tard.Amazon (par la proposition croissance de services diversifiés)et leFinancial Times (afin de contrer la digitalisation croissante des médias, le journal a lancé un modèle de souscription d’abonnement innovant)sont de bons exemples de grands groupes qui ont su remettre en cause leur modèle économique avant de se retrouver au pied du mur.
Accelerate :supplanter ses concurrents en développant et en lançant des innovations rapidement et efficacement tout en maintenant un processus décisionnel validant les différentes étapes du projet. De leur côté, les instances décisionnelles doivent cependant éviter une aversion au risque trop forte et d’ériger des barrières entre une idée géniale et l’utilisateur final. Le succès du projet dépendra de la faculté de l’entreprise à amener les parties prenantes en interne à collaborer de façon transversale.
Scale :lancer les innovations à la bonne échelle (activité de niche ou globale) sur des marchés et de segments de marchés pertinents.
Extend :créer et capitaliser sur des réseaux externes. La mise en place d’une collaboration intelligente avec des partenaires externes va bien au-delà de l’acquisition de nouvelles idées ou visions, elle permet de mutualiser les coûts, les risques et d’identifier des moyens pour atteindre plus rapidement le marché ciblé.
Mobilize :motiver, récompenser et amener ses collaborateurs à innover à plusieurs reprises.
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Je vous conseille de regarder cette présentation[1]par Nathan Marston (Directeur chez McKinsey) qui explique notamment pourquoi l’innovation devient de plus en plus importante dans la stratégie de croissance de l’entreprise.
Mon seul regret par rapport à cette présentation est que plus d’exemples ou de business case auraient pu être développés en complément de celui d’Amazon et du Financial Times.