Comment les séries télévisées sont devenues un puissant outil d’affrontement informationnel à l’échelle mondiale

Sous l’effet des guerres mondiales et faute de capitaux, la production cinématographique européenne a cédé le terrain aux productions d’Hollywood qui a alors pris le relais. Le cinéma hollywoodien est devenu en quelques années un véritable outil de « Soft Power » tel que conceptualisé par Joseph Nye en 1990. Dans « Bound To Lead : The Changing Nature Of American Power[1]», il affirme que les États-Unis disposent d’un avantage comparatif nouveau et qu’ils seront amenés à étendre leur sphère d’influence sur le reste du monde, précisément par leur capacité à séduire et à persuader les autres états sans avoir à user de leur force ou de la menace. Ce « Soft Power » repose sur des ressources intangibles telles que l’image ou la réputation positive d’un état, son prestige (son économie et sa puissance militaire), ses capacités de communication, le degré d’ouverture de sa société, l’exemplarité de son comportement (en termes de politique intérieure et de relations internationales), l’attractivité de sa culture, de ses idées, l’avancement de sa recherche scientifique et technologique… Cette expression de « Soft Power » est désormais utilisée par d’autres pays comme synonyme de politique d’influence, y compris économique. Aujourd’hui le cinéma américain met en scène la puissance des États-Unis mais aussi ses échecs et ses craintes. Récemment le long-métrage « Zero Dark Thirty » de Kathryn Bigelow (première réalisatrice à avoir remporté l’Oscar du meilleur film pour « The Hurt Locker » en 2010) faisait le récit de la traque d’Oussama ben Laden lancée par les États-Unis au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Elle prit fin par l’élimination du chef d’Al-Qaïda sous le premier mandat de Barack Obama. La date de diffusion de ce film déclencha une polémique dans les milieux conservateurs américains : ils firent le parallèle entre la date de sortie du film (3 semaines avant les élections présidentielles) et la réélection de Barack Obama. Ce film aurait-t-il eu le pouvoir d’influencer les votes en faveur du candidat démocrate ? Les polémiques déclenchées par le cinéma dépassent régulièrement les frontières nord-américaines. En 2014, le film « the Interview » fut vivement critiqué par la Corée du Nord. A tel point que le dirigeant Kim Jong-Un demanda à l’ONU de sanctionner l’acteur principal (James Franco) ainsi que le scénariste et coréalisateur (Seth Rogen) du film. La Corée du Nord fit deux déclarations fracassantes :

  • Via son porte-parole : « Il y a ceci d’ironique dans l’intrigue, qui montre le désespoir du gouvernement des États-Unis et de la société américaine. L’assassinat d’un leader étranger renvoie à ce que les États-Unis ont fait en Afghanistan, Irak, Syrie et Ukraine. Et n’oublions pas qui a tué Kennedy : les Américains ».
  • Par communiqué de presse du régime nord-coréen lui-même « Ces cinéastes vulgaires, appâtés par quelques dollars jetés vers eux par des conspirateurs, ont sali la dignité et la conscience du cinéma en osant produire et réaliser un tel film. En conséquence, ils doivent être sévèrement punis. […] Pitoyables sont les États-Unis, cherchant désespérément à affaiblir l’autorité de notre République, pourtant plus puissante chaque jour, avec un film minable, alors qu’aucune pression ou menace n’a jamais fonctionné contre nous. »

Cet affrontement eut des conséquences économiques : afin de subtiliser des informations confidentielles autour du film, un groupe de hackers « Guardians of Peace » fut à l’origine d’une cyberattaque de Sony Pictures Entertainment. Peu après, ces mêmes hackers menacèrent d’attaquer les endroits où serait diffusé le film. Face à ces menaces, l’avant-première new-yorkaise du film ainsi que sa tournée de promotion furent annulées. Sony dut réagir face aux nombreuses annulations de la projection du film par les chaînes de cinéma : il décida de ne pas sortir le film en salle pour finalement l’autoriser dans quelques salles américaines pour Noël. Dans les quatre jours de sa sortie, The Interview a totalisé 15 millions de dollars de recettes dans les locations et achats en ligne, devenant un des films les plus rentables de Sony Pictures Entertainment sur ce marché :  « all’s well that ends well. » pour Sony ! Aujourd’hui, force est de constater que le cinéma a néanmoins perdu l’exclusivité du « Soft Power » face à la montée en puissance de l’audience des séries télévisées.

La prise de conscience du pouvoir d’influence des séries télévisées

La légitimité des séries américaines n’était pourtant pas acquise lors du lancement massif des chaînes télévisées câblées aux États-Unis dans les années 1970. Elles étaient considérées avec mépris et condescendance par les élites (cf. la série Dallas). Aujourd’hui, elles ont acquis une certaine légitimité et font même l’objet de recherches scientifiques en géopolitique. Sur le marché des séries, les États-Unis sont le deuxième exportateur dans le monde : en avril 2015, la chaîne télévisée HBO a diffusé le 1er épisode de la 5ème saison de Game of Thrones simultanément dans 173 pays. Chaque année ce sont 150 nouvelles séries qui sont lancées outre-Atlantique. La plate-forme d’abonnement Netflix compte plus de 65 millions d’abonnés. Et la guerre fait rage sur ce marché compte tenu des sommes en jeu, en témoignent les dernières actualités en la matière. En 2016, Dominique Moïsi[2] y consacre un essai intitulé « La géopolitique des séries ou le triomphe de la peur ». Selon lui, les séries ont atteint un niveau d’excellence au moment où le monde était confronté à l’hyperterrorisme des attentats du 11 septembre 2001. La géopolitique a envahi brutalement le réel de nos vies quotidiennes mais elle s’est surtout transformé « en source d’inspiration pour les acteurs du monde, dans un mouvement dialectique toujours plus redoutable ». Les séries TV sont devenues des « outils incontournables de compréhension des émotions du monde, de la politique intérieure à la géopolitique […] ». Je rajouterais également la compréhension des enjeux économiques sous-jacents. Les hommes politiques ont pris conscience du pouvoir de cet outil de diffusion de leurs messages à une large audience et n’hésitent pas y faire clairement référence. Lors de son discours en 2015 devant le Congrès des États-Unis, Benjamin Netanyahu fit référence de manière explicite à la série Game Of Thrones : « In this deadly « Game of Thrones », there’s no place for America or for Israel. No peace for Christians, Jews, or Muslims who don’t share the Islamist medieval creed.”

La géopolitique selon House of Cards et Game of Thrones : la fin justifie les moyens

« Democracy is so overrated » : la série House of Cards s’inspire d’une série télévisée britannique des années 1990 : même titre, même thème et surtout mêmes auteurs. Elle traite de la conquête et de l’exercice du pouvoir à la Maison Blanche. Le contexte international est présent (Chine, Moyen-Orient, Russie…) néanmoins les luttes internes sont mises en avant par les scénaristes. Les principaux messages que ces derniers diffusent au fil des épisodes est la perte de confiance généralisée à l’égard des élites avec une volonté de désacraliser la politique et les relations internationales. Le public français montre un grand intérêt pour cette série qui paraît impossible à réaliser en France. Pourtant la série américaine va créer la surprise en s’immisçant dans la vie politique française : en 2016, Franck Underwood (le personnage principal) attaque publiquement le gouvernement Valls en commentant via Twitter l’utilisation de l’article 49.3 pour faire adopter la loi El Khomri. Nous avons assisté à un dialogue entre un personnage fictif et le premier ministre français lui-même. Manuel Valls a répondu par un tweet à House of Cards en faisant référence à Winston Churchill qui avait observé, à son époque, que « la démocratie est la pire forme de gouvernement, à l’exception de toutes les autres ».

« Winter is coming » : la série Game of Thrones est inspirée des romans de l’Américain Georges R.R. Martin. Dans cet univers, la géopolitique est le sujet essentiel : Dominique Moïsi parle de « réflexion féroce » sur la crise de légitimité du politique et des politiques. La série est de loin celle qui a le plus fait l’objet de commentaires géopolitiques et politiques. En 2015, Time Magazine faisait le lien entre les jeux de pouvoir de la campagne pour l’élection présidentielle américaine et la série en publiant une photo de Bill Clinton aux côtés de George W. Bush sous le titre « Game of Thrones – TIME talks 2016 with the most surprising couple in politics ». Les personnalités politiques sont également entrées dans le jeu. En 2016, les créateurs de la série ont avoué avoir envoyé une copie des épisodes de la 5ème saison avant sa diffusion officielle à la demande du président Obama. La série Game Of Thrones serait-elle une synthèse accélérée de l’histoire des relations internationales comme l’écrit Dominique Moïsi ?

Les scénaristes « américains » présentent-ils une vision réaliste de la géopolitique actuelle ?

L’hégémonie du modèle d’exportation américain : les données du marché révèlent une domination nette de la production américaine au niveau mondial : les États-Unis produisent plus de 400 séries par an dont 159 sont exportées. A la différence de certains pays européens comme la France, lors de leur conception, nombreuses sont les séries américaines pensées pour l’exportation. Elles constituent ainsi un outil d’influence sur le reste du monde. Depuis le 11 septembre 2001, la grande majorité des intrigues sont devenues plus sombres et les personnages clés sont des antihéros. Elles véhiculent une culture de la peur : selon François Jost[3], les personnages sont devenus des « nouveaux méchants » qui remettent en cause le « rêve américain » et revisitent l’histoire du capitalisme avec violence et désillusion.

Une Europe diviséec’est l’image que renvoie la série franco-suédo-norvégienne « Occupied ». Dans cette dystopie, en plein contexte de réchauffement climatique, le gouvernement norvégien prend la décision d’arrêter la production des énergies fossiles au profit de centrales au Thorium. Cette décision provoque une grave crise énergétique en Europe. La série brosse un portrait très négatif des relations internationales :

  • La Norvège ne peut que constater que ses choix en matière de politique énergétique ne lui appartiennent pas car les enjeux économiques dépassent sa souveraineté.
  • Un commissaire européen (de nationalité française) ordonne à la Norvège de reprendre la production et l’exportation d’hydrocarbures ou demande sera faite à la Russie d’intervenir militairement en Norvège pour rétablir la production.
  • Les États-Unis ont quitté l’OTAN et refusent toute intervention en faveur de la Norvège.

À la suite de la diffusion de cette fiction, la Russie a fortement réagi en dénonçant l’image véhiculée par la série. Elle a d’ailleurs pris la décision de créer ses propres programmes.

Existe-t-il une forme de résistance culturelle française à l’emprise des séries télévisées?

Pierre Ziemnak indique dans son livre « Exception Française – 60 ans de séries » que les quatre premières séries télévisées les plus regardées en France en 2015 sont d’origine américaine (The Mentalist, Forever, Esprits criminels et Person of Interest) alors qu’au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne ou en Italie, les fictions « locales » sont en tête des audiences. Une étude BVA Orange, révèle que, contrairement à la tendance mondiale actuelle de présence croissante des séries télévisées, 59% des français privilégient les films de cinéma contre 44% pour les séries. Selon Dominique Moïsi, « on ne conçoit pas en France l’existence d’une série sur la conquête et l’exercice du pouvoir à l’Elysée qui aurait ne serait-ce qu’un dixième de la virulence, de la jouissance destructrice de House of Cards. De même que notre pays prend un temps particulièrement lent pour se confronter à son passé, de la guerre d’Algérie à la France de Vichy, il est d’une grande prudence dans la description et l’analyse des mécanismes du pouvoir ». Mais quelques productions françaises semblent se démarquer :

  • « Le Bureau des Légendes » : selon Dominique Moïsi, la série constitue un mécanisme subtil et efficace pour redorer le blason des services de renseignement français et de la politique étrangère de la France au Moyen-Orient. La France apparaît comme une puissance incontournable sur plusieurs dossiers, ce qui ne serait pas, toujours selon Dominique Moïsi, forcément fidèle à la réalité politique.
  • Ou plus récemment, la série « Jeux d’influence » dénonce l’usage des pesticides sur le territoire français tout en montrant les collusions entre hommes politiques, journalistes et lobbyistes industriels « où conflits d’intérêts et petits arrangements sont quotidiens ».

L’émergence de modèles alternatifs

Certains Etats prennent très au sérieux les messages portés par les séries TV. « House of Cards » est très populaire auprès des élites politiques chinoises : elle renforce les convictions des dirigeants chinois qu’au fond il n’y a rien de différent entre le système politique américain et le système chinois. Dans le n°33 du magazine Carto, la journaliste Francesca Fattori rappelait que le Liban, l’Iran et le Pakistan se sont plaints de l’image stéréotypée et réductrice de leur pays que renvoyait la série Homeland. Certains états ont décidé d’en faire un outil de communication d’influence : de nombreux pays cherchent à montrer une autre représentation géopolitique que celle qui a été véhiculée par le modèle américain. On parle beaucoup de l’hégémonie des séries américaines mais peu des productions turques : en 2015, la Turquie est pourtant le 1er exportateur de séries dans le monde. Elles constituent une attraction touristique et une source de revenus pour le pays. Le développement du tourisme télévisuel est un symptôme de l’importance des séries turques dans les pays du Moyen-Orient. Les années 2010 constituent l’âge d’or des séries turques dans une vaste zone géographique, de l’Amérique du Sud au Moyen-Orient, de l’Asie centrale aux Balkans. Nous pourrions aussi citer l’exemple des séries israéliennes, brésiliennes ou russes… « Miroirs de notre vision du monde » pour reprendre l’expression de Dominique Moïsi, les séries ne sont pas des produits mondialisés neutres, elles constituent des « clés de lecture » des enjeux géopolitiques et économiques actuels.

Karine Hare-Conan

Bibliographie :

François Jost, Les nouveaux méchants – Quand les séries américaines font bouger les lignes du Bien et du Mal, Bayard, 2015

François Jost, De quoi les séries américaines sont-elles le symptôme ? CNRS, 2017

Dominique Moïsi, La géopolitique des séries ou Le triomphe de la peur, Stock, 2017

Joseph S. Nye jr, Bound to Lead: The Changing Nature of American Power, Basic Books, 1990

Martin Wincler, Petit éloge des séries télé, Folio, 2015

Pierre Ziemnak, Exception française – De Vidocq au Bureau des légendes : 60 ans de séries, Vendémiaire, 2017


[1] Bound to Lead: The Changing Nature of American Power, Joseph S. Nye jr, Basic Books, 1990

[2] La géopolitique des séries ou Le triomphe de la peur, Dominique Moïsi, Stock, 2017

[3] Les nouveaux méchants – Quand les séries américaines font bouger les lignes du Bien et du Mal, François Jost, Bayard, 2015

“Guerre des Talents” : la révolution numérique change la donne

Mon dernier article, également paru sur le site Infoguerre (Centre de Réflexion sur la Guerre Economique) le 21 juin dernier https://infoguerre.fr/2019/06/guerre-talents-revolution-numerique-change-donne/)

Bonne lecture ! et n’hésitez pas à commenter.

Mon prochain article devrait paraître fin septembre, il portera sur
un média d’influence fort avec une audience importante : les séries télévisées. En particulier sur la représentation qu’elles donnent des jeux de pouvoir et des guerres économiques. A suivre !


40 millions serait[1], selon le cabinet McKinsey, le nombre de « talents » qui viendraient à manquer sur le marché du travail d’ici 2030. Les économies émergentes (indienne, sud-asiatique et africaines) seraient également touchées. En parallèle, le nombre de travailleurs faiblement qualifiés atteindrait le chiffre considérable de 90 millions : de quoi amplifier « la guerre des talents » qui existe déjà entre grandes entreprises. La révolution numérique et l’émergence du monde des start-up viennent aggraver ces affrontements. Même si l’enjeu global semble clair, le concept de talent[2] n’a pas de définition officielle : les critères peuvent varier selon le profil du poste, le secteur d’activité, de la culture d’entreprise et de son écosystème. Partons du postulat qu’un « talent » constitue avant tout un avantage concurrentiel voire un élément différenciant de l’offre d’une entreprise. En France, la pénurie de « talents » et les pourcentages de turn-over au sein des grands groupes ont atteint un niveau record en 2018[3] : les grandes entreprises rencontrent de réelles difficultés à attirer et à retenir leurs « talents ».

La montée en puissance des aspirations sur le mode de vie

En 1997, le cabinet McKinsey publiait l’étude “The War fo Talent”[4]. Parmi les conclusions de leur travail, deux « prophéties » qui engendreraient une guerre « sans limites » pour capter les talents si les entreprises ne faisaient pas de leur politique RH une priorité dans leurs plans stratégiques :

  • Une assez forte probabilité que dans les années à venir, un petit groupe de travailleurs hautement qualifiés aurait un impact plus fort sur la performance des entreprises que leurs autres collègues.
  • Le développement toujours plus complexe du système économique mondial impliquerait un besoin croissant en personnel hautement qualifié.

Mais à l’époque les entreprises estimaient qu’un salaire attractif suffisait et suffirait à attirer et fidéliser les talents.

Aujourd’hui, elles doivent composer avec un changement des mentalités, les départs massifs en retraite des babyboomers mais surtout, en lien avec la révolution numérique, l’émergence de besoins en compétences qui n’existaient pas il y a encore quelques années.

Selon Patrick Arnoux[5] pour qui « la guerre pour les talents ne fait que commencer », la cotation en bourse d’une entreprise de services parapétroliers a « été chahutée après l’annonce de retards dans la livraison de certains projets stratégiques, provoqués par une pénurie de main-d’œuvre et une incapacité temporaire à procéder aux nécessaires recrutements ». Les métiers du numérique et de l’ingénierie sont aujourd’hui les plus impactés par le manque de « main d’œuvre ». Et il apparaît que le rapport de force s’est inversé : les candidats sont en quête de sens et maintenant décisionnaires.

La renommée de la marque ne suffit plus à attirer les talents, en particulier ceux du numérique qui sont plus sensibles à l’univers des start-up, des PME ou de l’auto-entrepreneuriat (en 2017, 37% des Français imaginent créer ou reprendre une entreprise[6]) qui représentent à leurs yeux une aventure technique et plus humaine. Presque 50% des français disent préférer une PME, 26% une ETI et seulement 11% un grand groupe[7]. Désormais, ils n’hésitent pas à quitter leur emploi : le critère du salaire a laissé la place au besoin de reconnaissance, à l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. Un grand cabinet de conseil en stratégie parisien en a fait les frais : aucun des talents éligibles n’a proposé sa candidature au poste d’associé[8]. La cause ? la vie d’associé serait désormais synonyme de surinvestissement au travail au détriment de la vie personnelle. Parfois les grandes entreprises réussissent à remporter une bataille : en quelques années, les cabinets de stratégie en Inde furent victimes d’une fuite de leurs talents au profit des start-ups. Et pourtant en mars 2017, McKinsey a annoncé[9] avoir réussi à faire revenir au sein du cabinet un brillant ancien associé, son adaptation au monde « des start-up» aurait échoué.

Les méthodes offensives des entreprises

Certaines grandes entreprises ont bien compris que leur gestion des talents est une dimension cruciale dans la guerre économique qu’elles mènent contre leurs concurrents. Elles déploient une véritable stratégie marketing RH supportée par un département dédié et généralement baptisé « Marque Employeur » qui doit représenter l’identité et la réputation de l’entreprise en tant que recruteur. En 2017, Amazon France a organisé son premier Amazon Campus Challenge[10] : il s’agissait de mettre en compétition des étudiants en master avec pour récompense, entre autres, une proposition de stage. En petits groupes, les étudiants devaient accompagner une TPE ou une PME dans la mise en œuvre d’une stratégie de e-commerce sur la marketplace d’Amazon.

Ce type d’événement permet à Amazon d’identifier le plus tôt possible des futurs talents, de promouvoir la marque employeur mais peut aussi nourrir ses réflexions stratégiques à partir des insights produits par les étudiants.  Parmi les autres mesures les plus courantes, la proposition de places en crèche à proximité de lieu de travail, des services de conciergerie, l’agencement des espaces de travail (« Les plus beaux espaces, avec vue panoramique ou terrasse, ne sont plus réservés à la direction, comme c’était le cas il y a encore cinq ans, mais dévolus aux espaces communs de convivialité »[11]), la nomination de Chief Happiness Officer qui serait garant de la qualité de vie dans l’entreprise… Concernant la fidélisation des talents, les nouvelles technologies pourraient constituer un élément pertinent[12] pour aider les entreprises à prévoir leur turn-over : les logiciels SAP’s SucessFactors et Workday (Oracle) collectent déjà des informations à partir d’application comme Linkedin afin d’identifier si une personne envisagerait une mobilité. Le cabinet McKinsey utilise des algorithmes de machine learning afin d’identifier les facteurs responsables du phénomène de lassitude constaté (« bore-out ») chez leurs managers.

PIB et Indice Global de Compétitivité des Talents

Le « talent » ne se limite pas uniquement au monde de l’entreprise privée. Ces ressources clés sont aussi considérées comme le moteur de la compétitivité et de l’innovation d’un pays. L’enjeu économique de la « guerre des talents » est double : à l’échelle des entreprises mais aussi au niveau national. L’INSEAD a lancé en 2013 un indice global de compétitivité des talents[13] (GTCI, pour « Global Talent Competitiveness Index ») dont l’objectif était d’évaluer ce que les États font pour « cultiver, attirer et retenir les talents » car, selon l’INSEAD, il existerait une très forte corrélation entre le PIB et l’indice des talents : « Ce sont les pays qui font le plus d’efforts pour attirer et retenir les talents qui sont les plus performants en matière d’innovation ». La Suisse, Singapour, le Danemark et la Suède ont été plébiscités pour leur gestion des talents. Ils auraient anticipé les difficultés à venir en donnant la priorité à la qualification et l’employabilité dans l’évolution de leurs programmes d’enseignement : et si une meilleure coopération entre le monde de l’entreprise et le système éducatif d’un même pays constituerait un avantage concurrentiel dans la « guerre des talents » à l’échelle mondiale ?

[1] La carte mondiale de la guerre des talents, Les Echos, V. Landrieu

[2] David Giauque, Simon Anderfuhren-Biget et Frédéric Varone, « La « guerre des talents » est-elle perdue d’avance ? Attirer et fidéliser les salariés par les valeurs du service public », Pyramides [En ligne], 23 | 2012, http://journals.openedition.org/pyramides/901

[3] Guerre des talents : comment attirer et fidéliser ? Les Echos, G. Dauvergne et C. Marchais 

[4]https://www.researchgate.net/publication/284689712_The_War_for_Talent

[5] La guerre pour les talents ne fait que commencer – La pénurie actuelle de compétences est lourde de conséquences pour les entreprises, l’innovation, et la croissance, Le Nouvel Economiste, P. Arnoux

[6] Comment font les entreprises face à la guerre des talents ? Maddyness, F. Pinsac

[7] Ce que veulent les candidats, Les Echos, G. Dauvergne

[8] « Dans un grand cabinet de conseil en stratégie parisien, aucun des talents éligibles ne s’est porté candidat cette année pour devenir associé, rapporte Michel Font

[9] Saikiran Krishnamurthy rejoins McKinsey as part-time adviser, The Economic Times, Sreeradha D Basu

[10] https://www.amazoncampuschallenge.fr/fr/

[11] La vie de quartier influence la performance des entreprises, Les Echos, G. Dauvergne

[12] Attracting and retaining the right talent, McKinsey & Company, S. Keller and M. Meaney

[13] The Global Talent Competitiveness Index 2019 – Entrepreneurial Talent and Global Competitiveness

Innovation : les huit piliers pour favoriser la créativité et l’innovation en entreprise

Forte du constat qu’il est bien plus difficile pour des sociétés bien établies sur leur marché de faire preuve de créativité et d’innovation que d’optimiser la performance de leurs processus, une équipe McKinsey a mené pendant 5 ans une étude (basée sur des interviews, des ateliers et des enquêtes auprès de 2 500 cadres issus de plus de 300 entreprises).

Leur objectif ? Comprendre quels sont les facteurs qui permettent à une société d’être plus innovante qu’une autre.

Leur étude a abouti à l’établissement d’une liste de huit piliers fondamentaux de l’innovation.

Je vous propose de découvrir dans le détail quels sont ces huit éléments et ce qu’ils recouvrent.

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  • Aspire : faire de l’innovation un moyen prioritaire de développement de la croissance de l’entreprise et décliner des objectifs qui reflètent cette stratégie. Les cibles doivent être suffisamment larges afin que chaque manager puisse intégrer dans son business plan une enveloppe spécifiquement dédiée à l’innovation.

 

  • Choose : investir dans un portefeuille d’initiatives cohérent et équilibré en termes de risques et selon un timing pertinent tout en mobilisant les ressources nécessaires.Une fois cette étape franchie, la démarche doit être transparente (chaque collaborateur doit savoir quels sont les sujets qui sont développés en interne et quelles sont les équipes). De plus, une gouvernance spécifique doit être mise en place afin d’évaluer en permanence la composition de ce portefeuille et non uniquement son avancement, les risques inhérents et la valeur de ces initiatives.

 

  • Discover : avoir une vision du business, du marché et de la technologie qui puisse se traduire en proposition de valeur. Le processus de découverte est itératif et la fabrication de prototypes peut aider les entreprises à continuer à apprendre tout en développant, testant, validant et en améliorant ses innovations.

 

  • Evolve : créer des business models qui offrent des sources de profit défendables et évolutives. L’innovation en matière de modèle d’affaires est cruciale pour la logique économique de la chaîne de valeur, la diversification des sources de profits et le changement des modèles d’exécution. Aujourd’hui, cette réflexion est peu déployée dans les grands groupes : certains attendent d’être directement menacés avant de l’enclencher, à ce stade elles ne peuvent qu’espérer qu’il ne soit pas trop tard. Amazon (par la proposition croissance de services diversifiés) et le Financial Times (afin de contrer la digitalisation croissante des médias, le journal a lancé un modèle de souscription d’abonnement innovant) sont de bons exemples de grands groupes qui ont su remettre en cause leur modèle économique avant de se retrouver au pied du mur.

 

  • Accelerate : supplanter ses concurrents en développant et en lançant des innovations rapidement et efficacement tout en maintenant un processus décisionnel validant les différentes étapes du projet. De leur côté, les instances décisionnelles doivent cependant éviter une aversion au risque trop forte et d’ériger des barrières entre une idée géniale et l’utilisateur final. Le succès du projet dépendra de la faculté de l’entreprise à amener les parties prenantes en interne à collaborer de façon transversale.

 

  • Scale : lancer les innovations à la bonne échelle (activité de niche ou globale) sur des marchés et de segments de marchés pertinents.

 

  • Extend : créer et capitaliser sur des réseaux externes. La mise en place d’une collaboration intelligente avec des partenaires externes va bien au-delà de l’acquisition de nouvelles idées ou visions, elle permet de mutualiser les coûts, les risques et d’identifier des moyens pour atteindre plus rapidement le marché ciblé.

 

  • Mobilize : motiver, récompenser et amener ses collaborateurs à innover à plusieurs reprises.

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Je vous conseille de regarder cette présentation[1] par Nathan Marston (Directeur chez McKinsey) qui explique notamment pourquoi l’innovation devient de plus en plus importante dans la stratégie de croissance de l’entreprise.

Mon seul regret par rapport à cette présentation est que plus d’exemples ou de business case auraient pu être développés en complément de celui d’Amazon et du Financial Times.

[1] https://youtu.be/MCArTQTR2No

L’innovation sur le marché de la santé : quelle(s) stratégie(s) d’entrée sur ce marché régulé pour un nouvel acteur ?

Pour ce premier billet de l’année 2016, je souhaitais partager avec vous ce que j’ai retenu de la lecture d’un article académique de Thomas Houy[1], intitulé « L’innovation stratégique sur un marché régulé, le cas des technologies pour la santé »[2] et publié en 2014 dans la Revue Française de Gestion.

Il y présente trois différentes stratégies pouvant être mises en œuvre par les entreprises privées dans le cadre de la conception et le déploiement de solutions technologiques innovantes sur le marché français de la santé.

1.La première est la stratégie de pénétration par paliers : il s’agit de faire la preuve de l’intérêt d’une innovation sur un marché périphérique c’est-à-dire en s’écartant initialement du segment de marché visé. Une fois la légitimité de l’innovation démontrée, il est possible de revenir sur son marché cible avec cette même innovation.

L’exemple le plus parlant est le cas de la Wii Fit : une approche ludique par la console de jeux qui une fois adoptée par les enfants transpose son concept sur le segment du « bien-vivre » pour ainsi adresser d’autres membres du cercle familial, les mamans par exemple (terme plus politiquement correct que la célèbre ménagère de moins de 50 ans…).

J’ai mis à contribution mes « talents » en matière de dessin (j’accepte volontiers la critique !) pour résumer ci-dessous les écrits de Thomas Houy.

Intégration par paliers

2. Deuxième stratégie, celle de l’accompagnement d’un processus isolé et indépendant. Vous ne voyez absolument pas de quoi il s’agit, c’est normal ! Une explication s’impose : imaginons le cas de Madame Hortense[3]. Madame Hortense, 81 ans, va en théorie

  • se peser tous les jours = processus isolé 1
  • prendre son/ses médicaments tous les jours pendant son repas du soir = processus isolé 2
  • alerter sa famille si elle ne se sent pas bien = processus isolé 3.

Après analyse détaillée des processus « humains » existants sur le segment de « marché » ciblé : il s’agit d’identifier les moins protégés par la régulation et donc qui laissent une marge de manœuvre en terme d’innovation plus large pour proposer un dispositif technologique afin d’automatiser et de faciliter la réalisation de ces processus isolés et indépendants. L’objectif est ainsi de faire tomber certaines barrières à l’entrée du marché.  

3. La troisième et dernière stratégie exposée par Thomas Houy est : la stratégie d’intégration de services existants par la mise en place de partenariats

Appliquée au marché de la santé, elle consiste à mettre à disposition des patients un bouquet de services existants par le moyen d’interfaces adaptées et faciles d’usage car embarquées sur un dispositif utilisé quotidiennement par un patient (par exemple service de visio-conférence simplifiée sur la télévision). Pour plus facilement entrer sur le segment de la santé, le bouquet de services dématérialisés peut être axé sur la prévention, le bien-être ou l’insertion sociale. 

Ici, l’innovation est de rang 2 : il s’agit de surinnovation par l’association d’innovations déjà présentes sur le marché. Elle permet de contourner une grande partie des barrières à l’entrée sur le marché, ce travail ayant déjà été fait par les partenaires.

Les variables clés des partenariats à maîtriser lors de l’intégration de ces partenaires sont :

  • l’accès aux compétences et au savoir-faire,
  • la mutualisation des risques et des coûts,
  • la possibilité de bénéficier d’économies d’échelle,
  • l’acquisition d’une forme de légitimé par la notoriété de son partenaire,
  • le coût de la coordination,
  • le degré de complémentarité entre acteurs,
  • et enfin, la capacité d’absorption éventuelle du partenaire.

Karine Hare-Conan


Sources

[1] http://www.telecom-paristech.fr/recherche/les-enseignants-chercheurs-de-telecom-paristech/houy.html

[2]Houy T., “L’innovation stratégique sur un marché régulé, le cas des technologies pour la santé”, Revue Française de Gestion, 243, 2014, pp 13-31.

[3] La personne qui connaît bien Madame Hortense se reconnaîtra

Interview pour ENGIE : “À la rencontre de Karine, Responsable Veille et Etudes Stratégiques chez ENGIE Ineo”

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Vous trouverez ci-dessous le texte de l’interview que j’ai donnée pour la Direction des Ressources Humaines du Groupe ENGIE concernant mon poste actuel.

L’article original se trouve : ici !

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Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

Je suis tombée dans la finance d’entreprise quand j’étais petite ! Par le partage d’expérience de mon entourage familial, j’ai découvert le monde de l’entreprise et surtout l’intérêt stratégique du poste de Directeur Financier. Au lycée, je me suis naturellement orientée vers une classe préparatoire aux concours des Grandes Ecoles de Commerce et j’ai réussi à intégrer l’EM Lyon Business School. Au cours de mes quatre années à l’EM Lyon, j’ai choisi d’axer mon parcours académique et mes expériences en entreprise sur la finance d’entreprise. Fraîchement diplômée, j’ai été recrutée par le cabinet d’audit Mazars en tant qu’auditeur financier.

Comment êtes vous arrivée chez ENGIE ?

Quelques années plus tard, j’ai quitté mon poste chez Mazars pour «passer de l’autre côté de la barrière» en intégrant directement la direction financière d’ENGIE Ineo au sein de la Branche Energie Services du Groupe ENGIE. J’ai supervisé le service Reporting Financier pour ENGIE Ineo mais aussi pour deux autres business units : ENGIE Axima et Endel ENGIE. Cette expérience m’a permis de découvrir une autre vision, plus opérationnelle et concrète, de la finance d’entreprise.

 Quel est votre poste et quel rôle tenez-vous aujourd’hui ?

Aujourd’hui, je suis Responsable des Etudes Stratégiques [et Veille] au sein de la Direction de la Stratégie: c’est une opportunité très enrichissante et qui vient apporter une carte plus opérationnelle à mes précédentes expériences. Je mets mes compétences en finance au service de la Direction de la Stratégie et j’acquiers un savoir-faire en développement commercial et marketing stratégique. Je viens en support aux opérationnels pour les aider à identifier les opportunités sur leurs métiers et je les conseille dans la construction de nouvelles offres de services. Je supervise, entre autres, la réalisation d’études de marché sur nos différents métiers et marchés. Je participe chaque année à la réalisation du business plan stratégique à 5 ans de ENGIE Ineo, ENGIE Axima et Endel ENGIE.

A ce jour, quel est le projet le plus intéressant et stimulant sur lequel vous avez travaillé ?

Depuis que j’ai intégré ENGIE, j’ai eu la chance de pouvoir travailler sur plusieurs types de projets intéressants et complètement différents. Si je ne devais retenir qu’un seul projet ce serait celui que j’ai initié en 2014 dans mon poste actuel et que je continue aujourd’hui à déployer : la mise en place d’un processus de veille stratégique au sein d’ENGIE Ineo. Ce sujet est crucial pour une entreprise : un processus de veille stratégique efficace peut permettre à une société commerciale d’identifier avant d’autres des opportunités de développement, de prendre un temps d’avance sur ses concurrents et ainsi, je mieux se positionner par rapport à ses clients ou prospects.

Quel sont vos projets, qu’aimeriez-vous faire plus tard ?

Dans la mesure du possible, j’aimerais pouvoir continuer à superviser cette thématique dans mes prochains postes, à mettre à profit mes compétences en finance et en stratégie tout en gardant ce lien permanent avec le terrain qui est le « plus » de mon poste actuel. Ce projet de veille stratégique va marquer durablement ma façon de travailler : quelle que soit ma sphère d’activité ou mes futures responsabilités, je m’attacherai à rester à l’écoute en permanence de mon environnement par la lecture, par le développement de mon réseau professionnel et personnel, par la participation à des groupes de discussions et de partage de bonnes pratiques…bref, je continuerai à gérer mon propre processus de veille !

Le changement de nom d’une entreprise : quel message pour les parties prenantes et pour quel objectif ?

What is your name

Chaque année entre 1 000 et 2 500 sociétés changeraient de nom !

Le changement de marque de GDF SUEZ pour ENGIE m’a amenée à m’intéresser aux recherches en sciences de gestion sur ce sujet.

Aujourd’hui, je vous propose de découvrir l’article académique de Philippe Boistel (1) intitulé « Comment qualifier le message lors d’un changement de nom d’entreprise ? » et publié en 2012 dans la revue Gestion 2000.

L’objectif de ses travaux est d’étudier la problématique du changement de nom de l’entreprise et de déterminer s’il s’agit d’une opération marketing ou stratégique.

Il a procédé à l’analyse de 35 changements de noms pour comprendre leur nature (marketing ou stratégique). Puis, afin de vérifier la véracité de la conclusion obtenue suite à la première approche, d’autres travaux ont été menés sur les messages émis par 4 entreprises (RBS Rouen Business School, LCL, BPCE et Allianz) à travers les dossiers et communiqués de presse, les messages véhiculés dans les sites institutionnels.

Un changement de nom (et/ou de logo, et/ou de phrase vocation) est compris comme stratégique car il annonce un nouveau départ pour l’organisation avec l’opportunité de créer une nouvelle image positive. Cela semble contredire la logique marketing selon laquelle maintenir dans le temps un nom marque les esprits des clients et renforce leur loyauté, cela permet d’engendre des ventes et donc de renforcer ses parts de marchés. De plus, son changement de marque représente des coûts directs (refonte des magasins, changement des enseignes et logo…) et des coûts indirects qui, pour leur part, ne sont général jamais analysés (le départ de certains clients qui n’apprécient pas ce changement, les campagnes de dénigrement sur la nécessité d’investir un tel coût…).

Les opérations conduites ces dernières années montrent que le changement de nom a pour origine, le plus souvent, des décisions délibérées portant sur une ou plusieurs entreprises.

Les dossiers de presse constituent, dans le cadre d’un changement de nom, un instrument de communication extrêmement important dans la mesure où la presse est considérée comme un relais de l’information qui touchera toutes les parties prenantes ou stakeholders. De même, la communication digitale est une source d’information non négligeable dans les stratégies de communication institutionnelle qui a la même fonction que le dossier de presse.

Voici de façon synthétique, les caractéristiques des messages étudiés :

  • un message positif de nature stratégique : les entreprises affirment leur leadership, elles soutiennent qu’elles sont bien positionnées par rapport à leurs concurrents ou encore qu’elles ont vocation à le devenir. Cela peut aussi représenter le moyen d’asseoir et de communiquer sur son positionnement marketing (« Nous sommes la seule banque à réseau national qui se consacre exclusivement aux activités… »). L’entreprise peut également orienter son message sur l’avenir.
  • Un message crédible et factuel : il repose sur l’ensemble d’actions mises en œuvre avant le changement de nom pour démontrer qu’il s’agit d’une volonté politique (« Après 10 ans de collaboration, X devient Y en France »).
  • Un message de mobilisation : il s’adresse à toutes les parties prenantes :   les clients (le changement de nom leur étant prioritairement destiné), les salariés (pour les rassurer et les remercier de participer activement au projet d’entreprise), les actionnaires (ils peuvent être satisfaits des ambitions et du travail fourni afin d’atteindre les objectifs), l’opinion publique (elle sera ainsi informée que les changements n’affecteront pas le rôle et l’engagement social de l’entreprise) [Commentaire KH-C, les thématiques de l’écosystème de la société, des partenaires commerciaux ou financiers ne sont pas, par exemple, abordés…].
  • Un message explicatif sur le choix du nom (l’architecture de marque est précisée).

D’une façon générale, le contenu des messages émis à ce occasion présentent de fortes similarités  : ils sont empreints d’optimisme et se révèlent très stratégique. Mais quelques nuances peuvent être apportées :

  • les faits majeurs antérieurs affectent le contenu du message : s’il n’y a pas d’élément antérieur défavorable, le passé et les valeurs historiques sont mises en avant. Dans le cas contraire, le message sera centré vers l’avenir et de nouvelles valeurs.
  • Lorsqu’il y a plusieurs entreprises concernées, la disparition de l’une d’entre elles impacte le message : il est alors construit de sorte à faire comprendre que ce rapprochement fait sens tant les différentes structures véhiculent les mêmes valeurs et les mêmes pratiques professionnelles. L’importance du groupe nouvellement constitué est alors mis en avant (son poids économique et financier, sa place dans l’économie…) et sur la place majeure des différentes entités qui l’ont formé.

En conclusion, les travaux de Philippe Boistel confirment que le changement de nom de l’entreprise a un rôle plus stratégique que marketing. La logique marketing est même remise en question par la volonté stratégique de signaler les changements au sein de l’entreprise tout en rassurant les différents stakeholders en leur indiquant qu’il est le reflet de transformations importantes conduites pour mieux les satisfaire. Ce changement de nom constitue un nouveau départ pour l’organisation. Le rôle du passé n’est pas le même pour toutes les entreprises, il peut être mis en avant ou complétement occulté car constituant une raison première de ce changement.

(1) Maître de Conférences à l’Université de Rouen – thèmes de recherche : réputation et l’image de l’entreprise,  la RSE.

Repenser la stratégie par les Business Models

Business Model Mountain

Chasing Ideas  -> 4E’s : Engaging, Ego’s, Energy, Excitement  

 Execution -> 4 B’s : Bureaucracy, Bosses, Budgets, Biases

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Aujourd’hui, je souhaite partager avec vous les principaux messages de cette courte interview[1] donnée par Vanessa Warnier (MCF en Sciences de Gestion à l’IAE de Lille) sur Xerfi Canal. Au travers de l’ouvrage « Stratégie et Business Models », elle propose, entre autres et avec les deux autres co-auteurs, une approche complémentaire des analyses stratégiques classiques type Porter[2].

Cette approche est née du constat que l’analyse stratégique classique amène les entreprises à se focaliser sur la recherche d’une même façon d’acquérir de la performance ou de se construire un avantage concurrentiel : c’est-à-dire suivre ce que fait le leader du marché et respecter à la lettre ses facteurs clés de succès. Selon les auteurs, le développement d’un avantage concurrentiel ne doit plus être l’approche systématique. Il faut activer les leviers de différenciation suivants : innover, concevoir ou explorer de nouvelles façons d’envisager son activité par exemple.

Contrairement à la littérature classique qui, jusqu’à présent, proposait selon eux des business models[3] statiques, les auteurs de l’ouvrage proposent un modèle dynamique avec une analyse des interactions des composantes « R – C – O – V » pour Ressources, Compétences, Organisation et Valeur. L’intérêt et la valeur ajoutée reposent sur la manière dont les interactions entre ces composantes sont gérées.

Par exemple, la recherche de partenariat est un moyen de générer de la valeur autrement.

Une autre façon de transformer son business model est de réfléchir à la position de l’organisation dans son réseau de valeurs :

  • quelles sont les relations qu’elle entretient avec les acteurs de son environnement, de son écosystème ?
  • qui choisit-elle comme partenaire et pour développer quel business ?

Concernant l’émergence de nouveaux business models aujourd’hui, Vanessa Warnier développe l’exemple d’Airbnb qui a su selon elle identifier une nouvelle source de revenus et une nouvelle façon de générer de la valeur à partir de ressources inhabituelles (nuitée chez l’habitant au lieu d’une nuit d’hôtel).

Airbnb, l’exemple actuel passepartout quel que soit le sujet ou presque…n’y a-t-il pas d’autre cas à développer ? To be continued…

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[1] L’interview : https://www.youtube.com/watch?v=xCBq_LlRy3M

[2] Mais qui est donc ce Porter ?http://fr.wikipedia.org/wiki/Michael_Porter

[3] Et le Business Model ?http://fr.wikipedia.org/wiki/Mod%C3%A8le_d%27entreprise

 

 

 

Chères entreprises de services, il est grand temps d’innover !

InnovationLes sociétés B2C ne sont pas les seules à devoir innover et faire évoluer leurs produits, l’innovation devient aujourd’hui indispensable pour les entreprises de services B2B si elles veulent survivre à l’émergence des startups numériques.

Aucun segment de services n’est épargné : Uber dans les transports, Airbnb dans l’hôtellerie ou Withings pour la santé, Nest pour la maison. Les modèles d’affaires traditionnels des entreprises de services sont remis en question par ces jeunes pousses.

Aujourd’hui, je souhaite aborder cette problématique en partageant avec vous les grandes lignes d’un article intitulé « Service innovation in a digital world » publié en février 2015 dans le McKinsey Quarterly.

Peu nombreuses sont les sociétés qui ont déjà enclenché cette démarche d’innovation, qui sont capables de maîtriser et de s’adapter à un nouvel environnement en permanente mutation. Le succès des démarches déployées par ces organisations réside, selon les auteurs, dans la combinaison de trois actions clés :

  • Institutionnaliser l’innovation de service c’est-à-dire mobiliser autant de moyens pour l’innovation dans les services que les producteurs de biens affectent à leur propre R&D.
  • Travailler en mode collaboratif et s’affranchir de ses propres processus internes pour se recentrer sur le client, personnaliser l’expérience client et donner la possibilité à sa clientèle de pouvoir faire des choses elles-mêmes.
  • Ne pas hésiter à simplifier voire automatiser la façon avec laquelle sont fournis les services.

Les sociétés de services doivent saisir les opportunités d’innovation que présentent les quatre évolutions majeures suivantes :

  • une plus grande attente de la clientèle : les consommateurs attendent « implication, personnalisation et mobilité ». Les organisations doivent sortir des sentiers battus (think outside the box)
  • la montée de l’internet mobile : les smartphones, les objets intelligents connectés, les solutions de paiements numériques, sont tout autant d’évolutions qui ouvrent la porte à des nouvelles possibilités en matière de libre-service et de mobilité
  • le Big Data et l’analytique avancée : l’utilisation des données clients permet une personnalisation et une adaptation des services proposés. Les capacités analytiques ne cessent de se développer et donne aux sociétés le moyen d’exploiter une quantité gigantesque d’informations jusqu’alors inutilisées.
  • l’internet des objets : dans certaines applications B2B, la connectivité croissante machine-to-machine permet de fournir des services en temps réel. Les auteurs citent l’exemple des capteurs utilisés par General Electric dans les moteurs d’avion pour surveiller leurs performances et améliorer l’efficacité de la maintenance. Dans un autre registre, selon eux, la commercialisation croissante des appareils connectés ouvre le champ des possibles en ce qui concerne le modèle d’affaires.

Pour plus de détail, je vous invite à prendre connaissance de l’article original : http://www.mckinsey.com/insights/operations/service_innovation_in_a_digital_world, écrit par Tony D’Emidio, David Dorton, et Ewan Duncan.